Transition haïtienne : l’accord du 21 décembre sonne l’alerte face à l’échec du Conseil Présidentiel

C’est un constat d’échec que dresse le regroupement politique du « 21 décembre », près de 15 mois après la signature de l’accord du 3 avril 2024. Dans une déclaration conjointe publiée cette semaine, les signataires dénoncent l’inefficacité du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), une structure qui, selon eux, a trahi les espoirs placés dans un processus de sortie de crise pacifique et démocratique.
Présenté à l’origine comme un consensus historique destiné à ramener l’ordre, restaurer les institutions et organiser les élections, l’accord du 3 avril a rapidement montré ses limites. Le « 21 décembre » reproche au CPT son incapacité à traduire dans les faits les priorités fixées par l’article 17 dudit accord, notamment en matière de sécurité, de relance économique, de justice et de gouvernance constitutionnelle.
À en croire les chiffres cités dans leur déclaration, la situation s’est même aggravée. L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) recense désormais 1,3 million de déplacés internes à cause des violences des gangs, dont près de 147 000 dans le seul département du Centre, en raison des attaques à Mirebalais et à Saut d’Eau. Une réalité humanitaire catastrophique, que la gouvernance actuelle semble incapable d’endiguer.
Sur le plan économique, les perspectives sont tout aussi sombres. Selon les données de l’IHSI (Institut Haïtien de Statistiques), l’inflation culmine à 26,8 %, la croissance reste négative à -2,5 % et les investissements privés se sont effondrés de plus de 36 % depuis le début de l’année 2025. Ce marasme est directement lié à l’instabilité sécuritaire qui paralyse le pays, selon le collectif.
Dans les tribunaux, l’État de droit n’est plus qu’une illusion : plusieurs juridictions sont désormais délocalisées ou inopérantes, leurs locaux occupés par des groupes armés. La symbolique d’un pouvoir judiciaire exilé vient confirmer une réalité glaçante : l’État haïtien ne contrôle plus son territoire.
Le collectif du « 21 décembre » critique également la manière dont est conduit le projet de réforme constitutionnelle. Bien qu’il reconnaisse les efforts du Comité de pilotage de la Conférence Nationale, il déplore le manque d’inclusivité et l’absence de sérénité dans les débats. Le risque, selon eux, est de voir ce processus servir à approfondir les clivages sociaux plutôt qu’à les résoudre.
À cela s’ajoute un retard préoccupant dans le calendrier électoral : bien que le Conseil Électoral Provisoire (CEP) soit en place, et malgré la disponibilité de matériels électoraux sensibles, aucun référendum ou élection ne semble possible avant le 7 février 2026.
L’analyse de l’accord « 21 décembre » se termine sur un appel à une remise à plat urgente du processus de transition. Selon eux, la seule voie raisonnable est celle d’un nouveau dialogue politique, sous médiation internationale, pour réorienter la transition. Ils pointent une dérive : au lieu de porter une mission de salut national, le CPT est devenu, à leurs yeux, un foyer d’ambitions personnelles, de luttes intestines et de paralysie structurelle.
« Les secteurs ont l’obligation morale et politique de se prononcer avec le plus grand courage patriotique », écrivent-ils, en attendant la convocation d’une relance des discussions nationales.
Le texte du « 21 décembre » agit comme une interpellation directe de la classe politique, des acteurs de la société civile, mais aussi de la communauté internationale. Loin de simples querelles internes, il dresse le portrait d’un pays à genoux, où l’échec politique devient une menace existentielle.
Entre désordre constitutionnel, effondrement judiciaire, violence armée et catastrophe humanitaire, Haïti ne peut plus se permettre de fausses solutions ni de gouvernances d’apparat. Il faudra du courage, du renoncement et une volonté réelle de reconstruire. Sans cela, la transition risque bien de ne devenir qu’un mot vide, dans un pays toujours plus proche du point de non-retour.